"A deux pas de moi"
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Un diaporama des aquarelles et poèmes associés Un article de presse sur le recueil de poésie
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de André Duhaime
de l'auteur pour une petite histoire du haïku et du tanka dans la littérature japonaise |
Postface
A propos du Tanka et du Haïku
Les arts jouent un rôle important dans la culture japonaise au même titre que la philosophie en Europe... Et la poésie en est une expression. Shuichi Kato (1), professeur d’histoire nous rappellera que : " La culture japonaise tend toujours à éviter le logique, l’abstrait et le systématique, en faveur de l’émotif, du concret et du non-systématique. " De même, l’ancien cohabite toujours avec le nouveau, voire le nourrit. La poésie est issue des ballades anciennes. "Une première remarque qui s’impose : il n’existe pas dans la langue ancienne aucun terme à valeur générique correspondant à notre " poésie ". Le mot uta qui désigne les poèmes classiques signifie d’abord " chant ", comme l’indique le verbe uta.u, employé aujourd’hui encore au sens " chanter " ". Les premiers textes remontent surtout au Haut Moyen âge à des fins de divertissement, comme les concours d’écriture, la preuve d’amour ou décrivant la vie quotidienne au gré des saisons. Ils vont se transformer peu à peu, tout en restant immuables, dans l’esprit. Autre fait immuable, l’usage quasi immuable du nombre impair. Et le ver japonais est à de rares exceptions près de 5 ou 7 syllabes. Le temps n’a ni commencement, ni fin. En peu de mots, beaucoup de choses concrètes sont dites. C’est tout l’art du tanka, puis ensuite du haïkaï, puis du haïku. Dès la fin du VIIème siècle, seront compilés des textes, comme le Man yôshû, la plus ancienne compilation en pure langue japonaise et qui comptera 4516 poèmes de différentes formes et notamment : 265 chôka (poèmes longs), 62 sédôka (ritournelles), 4207 tankas (poèmes courts). Et un renga (dans Man yôshû, c’est le poème 1635, un dialogue entre le poète Ôtomo no Yakamochi et une " nonne ", donc un poème lié écrit par plusieurs auteurs). Le tout provient de lettrés pouvant venir de la Cour impériale, mais pas seulement. On y retrouvera notamment des Samouraï, des moines… Le tanka comprend 31 syllabes : un tercet de 17 syllabes (5, 7, 5), suivi d’un distique de 14 syllabes (7, 7) venant comme un écho. D’autres formes viendront ensuite : le Haïkaï, une composition poétique humoristique, satirique ou profane qui se popularise au-delà des sphères impériales. Le mot veut dire " badinage ". Mais en tout cas une composition savante et populaire. Sa particularité sera d’être des textes sur l’émotion au présent. Et sa métrique sera toujours des combinaisons d’éléments de cinq ou sept syllabes et le tanka deviendra l’expression la plus courante du waka puisque les autres formes vont pratiquement disparaître. Le renga qui se popularise au XIIème siècle est formé de textes écrits à plusieurs dans une forme déterminée. Le premier chaînon et les chaînons impairs sont des tercets de 17 (5/7/5) syllabes, et le deuxième chaînon et les chaînons pairs sont des distiques de 14 (7/7) syllabes. Traditionnellement, un renga est constitué de 36 chaînons, appelé Kasen. Apparemment, il commença comme jeux de la Cour impériale à l’époque de Heian ; mais à partir des XIIIe et XIVe siècle, il se répandit largement dans la société japonaise. Plus tard, c'est à Bashô (1644-1694) que l'on attribue la fragmentation du tanka ou du poème lié en ne gardant que les trois premiers vers, le hokku. Celui-ci est donc un tercet de 17 syllabes, un instantané, une juxtaposition de l’immuable et de l’éphémère dira André Duhaime. Selon certain, cela correspond au temps d’une respiration humaine. En plus de la forme, il doit y avoir référence à une saison (Kigo) ou à un moment de la journée (petit Kigo). A noter toutefois que nous pouvons, à mon sens, adapter le kigo à nos propres saisons qui ne correspondent pas forcément à celles du Japon. A toute fin utile, je reprendrai les quelques exemples de kigo les plus souvent évoqués et repris dans le livre de René Sieffert (2) : " Printemps : dernière neige, fleurs de prunier, chant du rossignol, brume qui voile les monts, jeunes herbes, averses sur les saules bourgeonnants, retour des oies sauvages, fleurs de cerisiers, fleur de glycine, fleur de corète ; Été : prise des vêtements d’été, chant du coucou, fleurs d’oranger, pluies de la cinquième lune, Automne : vent d’automne, brouillard, fête de la septième nuit de la septième lune, cri des insectes, rosée du matin, départ des oies sauvages, pleine lune de la mi-automne, fleurs de lespédèze, feuillage rougeoyant, brame du daim, fleur de l’ominaéshi, fleurs de l’aster pourpre, épis des roseaux, averses froides de la neuvième lune, fleurs de chrysanthème, chute des feuilles ; Hiver : herbes desséchées, givre et gel, neige, fleurs de neige sur les pruniers, premières fleurs de pruniers sous la neige, neige des ans sur la chevelure de l’homme. "
Pour autant, il apparaît que Bashô ne négligera pas la poésie lyrique et érotique dans ses textes et sera moins figé sur la forme. Il s’est d’ailleurs refusé à rédiger des textes théoriques. " L’on verra, en particulier, que Bashô est avant tout un poète du dialogue, que toute sa vie durant, il a donné une priorité absolue au haïkaï, œuvre collective, sur le hokku, qui n’est jamais conçu que comme un fragment détaché d’une séquence ou une pierre mise en réserve pour de futures constructions (3). "De même, il ne suivra aucune loi religieuse, ni coutume populaire, s’imprégnant plutôt de l’art. Ses textes se caractérisent alors par la découverte personnelle de la nature, par une subtile perception des choses. Les haïkus de Bashô tendent à se concentrer sur des impressions instantanées. Bashô écrira " Il faut exprimer par des mots la lumière à laquelle les choses apparaissent avant qu’elles ne disparaissent de votre esprit… Si vous vous concentrez sur les sensibilités intérieures en les faisant s’accorder avec les choses, l’essence de votre esprit et de votre cœur devient le haïku" (4). C’est en fait l’école de l’authenticité. Et dans le traité d’un de ses disciples, Hattori Tohô, se résume le principe fondamental de Bashô " qui se résume dans l’opposition fu.éki/ryûkô. Fu.éki est l’invariant, ce qui dans la nature aussi bien que dans l’homme est stable, indifférents aux modes, insensible aux variations ; ryûkô est le fluant, ce qui change avec l’âge, avec le siècle, avec l’individu aussi. " (5) Plus tard encore, c’est Shiki (1867-1902) qui donnera le nom de haïku (une contraction de haïkaï-hokku). Et je pense que cela n’est pas un hasard si la forme du haïku n’est pas figée, dans le sens que l’on y retrouve l’esprit du haïkaï et du hokku : impertinences subtiles d’un côté et un certain respect du Kigo. C’est toute l’alchimie. Donc pas de rime, ni métaphore, mais une évocation subtile du présent, une sensation très concrète, ouverte à chacun des lecteurs. Parfois, ces textes peuvent être présentés ou entrecoupés de prose concise, essentielle et simple ; c’est alors un haïbun, tel que ceux composés par Bashô.
D’autres variantes vont apparaître au fur et à mesure du temps. Comme le Senryu dont l’origine est attribuée à Karai Senryu - 1718-1790 - lequel a donné une telle couleur à ses Hokkus qu'on les a nommés "Senryu" (ou "hokku écrit à la manière de Senryu"), soit des haïkus satiriques, critiqueurs, et qui ne contiennent pas de Kigo. Mais le principe fondamental énoncé plus haut reste tout aussi pertinent. ______________________________ 1 Histoire de la littérature japonaise, tome 1, Éditions Fayard, 1985. 2 René Sieffert dans " Treize siècles de lettres japonaises, du XVe au XXe siècle ", tome 1, page 53, Publications Orientalistes de France, 2001. 3 René Sieffert dans " Treize siècles de lettres japonaises, du XVe au XXe siècle ", tome 2, page 188, Publications Orientalistes de France, 2001. 4 Dans le recueil Sanzöshi, compilé par Dohô et publié en 1702 et 1704. 5 René Sieffert dans " Treize siècles de lettres japonaises, du XVe au XXe siècle ", tome 2, page 203, Publications Orientalistes de France, 2001.
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