Ballades haibun

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Dans cette page, deux haïbun de Patrick Simon

Promenade automnale à Montréal, 2006

Mars ou neige 2008

 

Je vous propose une ballade automnale que j'ai fait à Montréal, le jour de l'Action de grâce 2006, à savoir le 9 octobre. J'ai pris la forme poétique du Haïbun. Et j'ai agrémenté ma ballade de photographies prises au fur et à mesure de mes pas.

Le Haïbun est une forme de narration poétique en prose parsemée d'un haïku ou d'un tanka et empreinte des caractéristiques du haïku: instantané, image concrète et résonance.

 

Toutes les photos de cette page sont de l'auteur. 

© Patrick Simon - Texte publié dans la Revue Haïkaï, Décembre 2006

Toute utilisation demande une autorisation de l'auteur.

 

Le jour de l’Action de grâce est congé dans toute l’Amérique du Nord. Et j’ai remarqué qu’au Québec, ce jour était empreint d’un rituel automnal. Chacun range ses affaires d’été, les balcons se dépeuplent de leurs tables et chaises de jardin. Et moi, j’ai décidé de prendre une marche au gré des rues Saint-Denis et Drolet. Entre le nord de la ville et son centre urbain, j’aime flâner et regarder au tour de moi. Et aujourd’hui est d’autant plus plaisant qu’il fait beau. Les rayons de soleil caressent mon visage. Un petit vent parfois me fait sentir les feuilles séchées. Pour certains, c’est Dieu qui a fait l’automne avec ses belles couleurs. Pour d’autres, c’est juste le temps de repeindre les escaliers avant les tourments de l’hiver.

 

Dans les rues, c’est parfois un tapis improvisé, aux multiples couleurs. Pas encore de neige, de si belles feuilles. Et encore le temps des vélos qui circulent dans nos rues.

 

Les feuilles tombent,

Composent un frêle tapis

Jaune, orange, gris.

Parfois, je préfère quitter ma rue, la Saint-Denis, celle qui descend de haut en bas la ville, entre une rivière, un des bras du fleuve, et le fleuve lui-même, au sud de l’île. Alors je tourne sur la rue Drolet, dès que se montrent ces belles maisons de ville, avec leurs escaliers de fer, descendant droit, été comme hiver. la rue est vide, parfois. À d’autres moments, une personne marche sur le trottoir. Souvent, elle me dépasse. Je prends le temps de poser avec mon appareil numérique ces maisons victorienne et américaine à la fois.

Sur la rue Drolet :

Ballade symphonique :

Cliquetis feuillu.

 

Une paire de fesses

Scandent chaque mouvement.

Les voitures qui circulent ne sont pas toutes équipées de leurs pneus d’hiver. Mais certains conducteurs l’ont fait. Car, dans une à deux semaines, ce sera l’affluence et la longue attente.

Elle tombe à mes pieds.

Qui ? La feuille sur la rue,

À deux pas de moi.

Parfois, les rues sont entrecoupées d’usines ou de voies qui barrent le paysage et il faut passer en dessous. Alors, j'aime carrément replonger dans le métro comme aux premiers jours où je vivais à Montréal, encore sans voiture. C’est là aussi, paradoxalement que j’ai fait mes premiers poèmes en forme de haïku ou de tanka, dans cette modernité. Ou alors sur les bords du fleuve ou de son affluent, la Rivière-des-Prairies…

Les cheveux auburn

Elle fait briller ses lèvres.

Un quai de métro.

Puis, dès le quartier Mont-Royal, je ressors en surface et je m’imprègne à nouveau de la vie automnale, faite de promenades ou de pause café ou autres breuvages. Les gens prennent le temps et montrent encore des vêtements légers, même si les vitrines nous dévoilent les vêtements d’hiver si prompts à nous cacher, à nous protéger d’un seul baiser. Les terrasses de café ou les bancs des parcs sont pris d’assaut.. Des étudiantes parlent en marchant, des personnes plus âgées ou tout simplement nonchalantes, prennent juste le soleil.

Au Quartier latin

Se mélangent les odeurs,

Rayons de soleil.

Ma ballade s’achève face au buste de Émile Nelligan, le poète de Montréal. Il est non loin de la Maison des écrivains mais il est surtout proche des badauds qui sillonnent le Parc Saint-Louis et son jet d’eau. Dans le luxe, le calme et la volupté de cette fin d’après-midi, se hâte seulement un écureuil ; il prépare ses repas d’un hiver pas si loin.

Square Saint-Louis :

Dialogue algébrique

Sur le macadam.

 

L’écureuil fouille

Parmi l’amas de feuilles ;

Bronze Nelligan.

Puis, vient le temps de rentrer. Alors, je reprends le métro bleu et blanc dans les entrailles de la ville et je remonte doucement vers ma rue de Saint-Denis. Octobre n’a pas encore donné son été indien. Il me restera d’autres ballades à faire à Montréal.

Grondements en terre :

Le métro me ramène ;

Fin de ballade.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mars et neige 2008

Le jour se lève, moi aussi. De tout cet hiver, je n'ai pu faire des promenades, tant la neige nous a envahi... Mais voilà, j'ai besoin de me rassurer. Suis-je encore capable de marcher de longues heures, moi qui vient d'atteinte un seuil : 55 ans.

Printemps goutte à goutte
clapotis creusant son trou
au banc de neige


Une marche dans les rues de Montréal, du nord vers le sud. Tel était mon désir le plus cher en ce 30 mars. Surtout que la neige n'encombrait plus autant les trottoirs.


Tel des remparts blancs
la neige par-dessus toi
le petit arbre



Bien sûr, il en restait encore de cette neige... A la capitale, nous avions commémoré le 400e anniversaire en dépassant les 400 cm de neige pour un hiver qui n'en finissait pas. Québec était doublement fier de son année 2008.
Ici, à Montréal, nous n'étions guère plus loin et le monde ne savait plus où la mettre cette neige.

Ce que j'aime le plus dans cette ville qui m'a accueilli, il y a maintenant huit ans, ce sont ses rues avec des escaliers qui viennent en lécher les bords, descendant des maisons. J'ai d'ailleurs fini par savoir pourquoi il y avait tant d'escaliers. Chaque logement voulait son accès au trottoir.

Des bancs émergeant
au milieu des bancs neigeux –
fin du mois de mars


Sur la rue Drolet que j'affectionne particulièrement, je finis par arriver à une zone moins intéressante car des usines se sont installés dans le coin et une route passe par-dessus ; nous sommes dans le secteur de Rosemont, souvent gris et sale entre les rues Saint Denis et Saint Laurent...
Alors, j'ai changé de rue et je me suis faufilé vers Saint-Laurent que certains appellent la Main - endroit où la  vie nocturne et où les belles de nuit venaient arpenter ses trottoirs.
Arrivé au coin d'un jardin public, enfin un banc où m'asseoir un peu - pas de fatigue mais besoin d'écrire mes haïku.

A l’ombre les bancs
blanc comme neige narguent
le soleil naissant


Le soleil est là mais j'ai mon manteau Kanuk sur le dos encore et toujours. Avec ce type de manteau, il ne fait jamais froid, même au plus fort de l'hiver et de ses moins quarante...


Tout à l'heure, j'ai dû rire malgré moi. Un vélo complètement écrasé... Probablement pendant cet hiver, un déneigeur du haut de son tracteur ne l'a pas vu et l'a enseveli de la neige qu'il dégageait tant bien que mal de la rue. Et un autre a dû finir le travail en l'écrasant. Cela arrive parfois. c'est moins grave que d'écraser un passant égaré dans le blizzard.

Restes d’un vélo
la fin d’un banc de neige
début de printemps


Vélos émergeant
au fur et à mesure
que fond la neige



Voilà près de deux heures que je marche et je suis heureux : pas de crampe, pas de fatigue ; juste le bonheur de sentir le soleil qui réchauffe les rues et les gens. D'ailleurs, plus je descend vers le sud, plus le monde circule dans les rues. Probablement aussi parce que nous approchons du centre plus commercial de la ville, avec ses boutiques et ses bistrots.
Même les oiseaux sont de la fête en ces premiers jours de printemps.

Mouettes hésitantes
un banc au milieu de rient
la neige – encore elle


Je me suis souvent demandé quel était le signal pour que des bandes d'oiseaux osent revenir parmi mous. Il y a quelques semaines, j'en ai vu arriver et ils semblaient repartir aussi tôt, trouvant le sol trop blanc et ne trouvant pas grand chose à grignoter.
Tiens, cette année, je n'ai pas fait de poèmes sur les écureuils de Montréal - pourtant ils sont nombreux, bien plus que les rats. Et dans la ville, ils ont la fâcheuse tendance à grignoter les poubelles...

En repensant à la rue Drolet du début de ma promenade, je revois le poème de Bashô et j'ai le goût d'y faire un léger écho :

Glaçon au soleil
ploc ploc – creuse la neige
printemps musical



Parfois, nous sommes comme dans un rêve ; je passais devant une vitrine et là je découvre des grenouilles en fer qui servent de décorations et de chandeliers. Je les trouve tellement drôle que je rentre dans le magasin et en achète une.

Mon périple de photos et de haïku se terminent ainsi.

 

 

© Patrick Simon - Mars 2008