Préface
Serge-André Guay, président
Fondation littéraire Fleur de Lys.
Patrick Simon nous offre une vision fort intéressante des mythes et des réalités
dans l’univers particulier des drogues et de la toxicomanie. Il invite
à une réflexion sur la cause première. La toxicomanie exprime un
malaise de vivre d’abord et avant tout conséquent du rapport à soi-même
et à l’Autre. Nous sommes aux portes de la philosophie nécessaire en
pareil cas.
J’ai personnellement animé plus de 350 conférences au sujet de la désinformation
auprès de 25,000 jeunes des écoles secondaires québécoises au cours
des années 80. Les pièges de la drogue étaient l’un des thèmes les
plus fouillés en raison des nombreux mythes en circulation à l’époque.
J’ai constaté chez plusieurs un besoin viscéral d’information
objective tant sur les drogues sur les moyens utiles à une réflexion sur
sa consommation personnelle. L’adolescent ressent souvent un malaise
face au malaise de vivre. Il ne sait pas comment aborder la question et
comment prendre du recul face à sa propre situation. Déjà en crise, il
craint inconsciemment d’être davantage déstabilisé. Il trouve dans
l’information objective un certain réconfort de par sa neutralité.
Au début des années 90, j’ai participé à l’implantation du
Programme d’Aide aux Employés-es (PAE) du chantier maritime de Lévis.
Toutes les parties s’entendaient sur la nécessité d’un PAE mais les
discussions trainaient en longueur depuis plus de quatre ans. Mon analyse
de la situation concluait en un simple problème de communication engendré
par plusieurs mythes. En pareil cas, il n’est rien de mieux de passer à
l’action pour ramener tout un chacun à la réalité. J’ai donc ouvert
un bureau d’aide et de références aux travailleurs. En moins d’une
semaine, plus d’une dizaine d’employés-es de l’entreprise s’y
sont pointés pour obtenir de l’aide. L’accueil, la confidentialité
et le respect dont ils témoignèrent à leur retour au travail réduisirent
les mythes en poussière. C’est ainsi que la personne est redevenue la
préoccupation première des parties et la négociation finale fut un succès.
Qu’il soit question de lutter contre les mythes ou d’offrir des
solutions, il faut placer la personne au centre des préoccupations et
s’attaquer ainsi directement au cœur de son problème, à la source même
de son propre mal de vivre : le rapport à soi-même et à l’Autre.
Force est de conclure que nous reviendrons toujours au «Connais-toi toi-même»
de Platon, tant pour l’intervenant que pour la personne en difficulté.
Nous sommes ici aux portes de la philosophie, une science qui a largement
fait ses preuves lorsque vient le temps de traquer les causes premières.
Introduction
La drogue, les drogues, les médicaments, les potions, autant de mots
recouvrent des produits ou substances qui accompagnent des rituels
sociaux.
Pourtant, d’un siècle à l’autre, d’une communauté à l’autre,
d’un système économique à l’autre, ces produits ou substances sont
ou deviennent licites ou non.
Les opiomanes, les morphinomanes, les éthéromanes ou les héroïnomanes,
sont par contre affublés d’un suffixe « manie » qui cette
fois a une connotation différente. Affubler, dont « vêtir »,
« agrafer », ou encore besoin d’étiquetage. Etiquetage par
qui ? Au nom de quoi ? Manie, donc sur une trajectoire de la
folie mais aussi qui agace l’environnement. Et nous passons de drogué
à toxicomane.
La toxicomanie apparaît comme un état de dépendance à des produits
dont la définition la plus appropriée est « psychotrope ».
Retenons la définition du Pr. Delay : « L’ensemble des
substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle, qui ont un
tropisme psychologique, c’est-à-dire qui sont susceptibles de modifier
l’activité mentale, sans préjuger le type de modification. »
Mais cette définition a des limites. Elle ne pose pas le problème de la
place de la toxicomanie dans la vie sociale, tant comme mythes, tant comme
réalités.
« La figure du drogué fascine parce qu’elle offre notre Mort et
notre Vie réunis là ensemble, en ce même lieu » (Léon Cordet)
Le drogué soulève par ses pratiques sociales/asociales le problème
complexe de l’existence de l’individu dans son environnement et en
communication active avec celui-ci.
Dans l’ouvrage présent, je vais en tant que travailleur social et plus
précisément comme intervenant en toxicomanie, mais également en tant
qu’individu, proposer une réflexion et mon approche du phénomène de
la toxicomanie et des toxicomanes.
Ceci, non pas pour figer par l’écriture une situation toujours en
mouvement, mais pour apporter un éclairage qui est celui d’un individu
ayant une fonction sociale dans un contexte socio-économique et
relationnel.
Il existe dans toute trajectoire personnelle quelque chose qui amène à
se définir en rapport à la fonction, en rapport à la situation
individuelle face à l’Autre. Ce quelque chose peut être viscéral ou
appréhendé à froid. Mais dans tous les cas, il remue en nous tout ce
qui a pu nous déranger dans nos rapports à l’Autre, dans nos rapports
avec la normalité, dans nos rapports à Soi.
Or, dans un contexte de malaise de vivre qui sous-tend
l’incommunicabilité, la difficulté d’exister socialement et
individuellement, nous sommes tous interpellés par ceux qui font
autrement, par l’Autre au sens étymologique.
Aussi, nous allons retrouver dans cet ouvrage ces différents aspects :
d’abord en situant la toxicomanie comme symptôme de malaise de vivre et
les lieux possibles de prévention, ensuite en situant le toxicomane dans
la société, son environnement.
Dans la présente édition, j’ai ajouté quelques textes nouveaux qui
reflètent les changements opérés depuis 1984, date de la première édition.
De même, il s’agit de comparer deux approches, celle de la France et
celle du Québec.
Patrick Simon
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